Albert-Marie : un artisan des mots

LES ENTRAILLES DE GISORS.

Château de Gisors (Eure). Crédit photo : www.tripadvisor.fr

LES ENTRAILLES DE GISORS

 à Danièle et André Schitter.

 

 

Ce mercredi 28 août 1991, il arriva une étonnante lettre au 57 de la rue de Varennes à Paris. Etonnante, au sens où l’entendait trois cents ans plus tôt une Marquise de Sévigné. Etonnante, donc, littéralement « comme un coup de tonnerre ». Et Dieu même devait sentir que les coulisses de l’Hôtel Matignon étaient à l’orage en ce conventionnel mercredi de conseil des ministres ! Mercredi jour de Mercure, jour de la communication… Pas ce mercredi-là en tout cas. Il eût été plus juste de voir en ce torride 28 août 1991 une coalition de Mars, de Saturne et de la Lune : guerres, contraintes et soif épuisante de changement. A l’ordre du jour, il avait été accumulé tous les casse-têtes d’une France échevelée à force de vouloir sortir d’une mine d’impasses : chômage record en juillet, intuition d’un crépitement de grèves dès la rentrée, déficit de plusieurs  caisses  majeures,  expectative de l’Education nationale ; sans parler du dossier des retraites qui, selon l’ancien   premier   ministre,   possédait    suffisamment  de problèmes détonants pour faire sauter les cinq gouvernements à venir.

De cela, Madame le nouveau Premier Ministre avait une conscience torride. Mais une conscience lucide et sur ses gardes. La blondeur frisée et cuivrée de sa chevelure laissait émaner une aura inhabituellement typique pour une femme politicienne. Avec, dans son thème astral, cinq planètes en Verseau, la Dame de Matignon allait ouvrir le monde politique occidental à tous les êtres humains, sans sexisme. Obligation caractéristique de cette ère du Verseau profondément égalitaire et hostile à toutes les injustices.

Et justement, cette mystérieuse lettre, que venait de lui apporter en personne son chef de cabinet, n’était-elle pas un troublant signe sommeillant, depuis plus de six siècles, dans les entrailles du conscient collectif prêt à endiguer les injustices de cet an de peu de grâces sociales 1991 ? Cette lettre, écrite sur parchemin d’où montait finement un parfum rare provocant des pensées de sympathie et d’amour, contenait d’incroyables phrases calligraphiées par une plume haute de sérénité artistique :

Madame le Premier Ministre,

J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que si vous désirez combler le déficit de la Sécurité Sociale, si vous souhaitez renflouer la caisse des aides aux défavorisés ; vous trouverez, en annexe de la présente, le plan du lieu où  depuis  le  début  du  XIV° siècle  git  un trésor fabuleux autant qu’ inestimé. Il n’est enfoui qu’à faible profondeur. La raison pour laquelle ce trésor n’a jamais pu être  mis  à  jour, réside  uniquement  dans  la cupidité des chercheurs égoïstes qui se sont succédés jusqu’à présent. Or, les possesseurs de ce trésor n’œuvrèrent leur vie durant que mus par des idéaux humanistes et spirituels élevés, et ce malgré certains débordements de leur vie quotidienne. Toutefois, je suis mandaté pour vous certifier qu’aucun obstacle ne viendra contrer la mise à jour de ce trésor, pourvu qu’il serve très exactement aux causes humanitaires urgentes de la France dont vous êtes l’actuel chef de gouvernement. Egalement annexé à la présente, vous pourrez trouver un ouvrage exposant l’affaire, un ouvrage absolument digne de confiance, écrit d’ailleurs par un spécialiste reconnu de l’énigme.

Devant scrupuleusement respecter les consignes qui m’ont été imposées par les Maîtres m’ayant choisi pour ambassadeur auprès de vous, je vous prie de bien vouloir comprendre qu’il me faille conserver l’anonymat le plus strict.

Je vous remercie, avec déférence, de votre magistrale attention.

Veuillez agréer, Madame le Premier Ministre, l’expression de mon profond respect, ainsi que mes très respectueux hommages.

Un électeur-admirateur.

 

Accompagnait cette lettre stupéfiante un ouvrage paru en 1962 chez René Julliard et repris en 1969 par J’ai Lu n° A 185 : « Les Templiers sont parmi nous » - Gérard de Sède. Mais qui étaient véritablement ces Templiers, et quel rôle jouèrent-ils dans l’histoire du plus fabuleux et du plus énigmatique trésor français de tous les temps ?

En 1118, Hugues de Payen et Bisol de Saint-Omer fondèrent l’ordre militaire et religieux du Temple, voué aux Croisades et caressant le rêve d’une unité et d’une fraternité universelles. (Notons immédiatement le rôle occulte joué par Bernard de Fontaine - alias Saint Bernard - qui rédigea la charte de ces nouveaux religieux militaires. Cet énigmatique saint Bernard qui conseilla également saint Malachie dans la composition de sa liste des 111 papes). Mais très rapidement les Templiers excellèrent dans la gestion et la spéculation des valeurs temporelles. Ils étaient des banquiers précurseurs et visionnaires. Certes, l’institution bancaire n’était pas vraiment une nouveauté : l’Antiquité avait connu ses banques, et les cités commerçantes de l’Italie les faisaient renaître à pleins feux. Or, le système bancaire des Templiers apparaissait, lui, d’une hardiesse inédite. Pas une de nos opérations modernes n’y faisait défaut : ouverture de comptes courants, constitution de rentes et de pensions, avances, cautions, consignations, prêts sur gage, encaissements, gérances de dépôts des particuliers, transferts internationaux de fonds, opérations de change. Grâce à l’ensemble de ces techniques, l’Ordre avait su se rendre indispensable à une époque où l’insécurité des routes et la fréquence des naufrages rendaient plus que téméraires les transports   d’argent.   Une   lettre   de  change  tirée   d’une commanderie de l’Ordre sur une autre permettait aux marchands fortunés de voyager sans coffre et sans escorte, et d’entrer en possession de leurs fonds au point d’arrivée. Quelques-unes de ces lettres de change ont été retrouvées et ont fait l’admiration des économistes.

En 1247, les propriétés du Temple enjambaient la Seine, couvraient déjà un tiers de Paris, de la Sorbonne à ce qui est de nos jours la place de la République. Ces possessions parisiennes n’étaient pourtant qu’un échantillon réduit des richesses accumulées par l’Ordre du Temple. Car ce dernier possédait pas moins de dix mille châteaux disséminés dans toute l’Europe, et la valeur de ses biens meubles a pu être estimée à 112 milliards de francs.

Rois et princes ne se bornaient pas à confier de l’argent aux Templiers ; ils leur en empruntaient, et même les papes tel Alexandre III, en firent autant. On conçoit décidément mieux que pour leurs contemporains, la fabuleuse fortune des Templiers ait été un mystère d’autant plus insondable que ces derniers se gardaient bien de le dissiper, ce qui, bien évidemment suscitait une jalousie fortement teintée d’admiration. A l’époque, l’explication courante était que les Templiers avaient trouvé la pierre philosophale, c’est-à-dire le secret des alchimistes permettant de changer le plomb en or.

Les Templiers, moines-soldats, ont donc été tour à tour jésuites avant Saint Ignace ; croisés, navigateurs avant Christophe Colomb ; conquistadors avant Cortez et Pizarro ; négociateurs avant les Doges ; artisans de la paix religieuse avant Henri IV ; politiques, fédérateurs avant Charles Quint et financiers, banquiers avant les Médicis.

Le roi de France, Philippe IV le Bel, en proie à des soucis   budgétaires,   se    retrouvait    doublement  le débiteur des Templiers : en 1297, il s’était fait avancer par eux 2500 livres ; l’année d’après, il leur empruntait 200 000 florins à l’insu du Grand Maître qui, furieux, chassa son imprudent trésorier. En 1300, nouvel emprunt de 500 000 francs pour constituer la dot de sa sœur. Mais il avait surtout contracté envers l’Ordre une dette morale qui pesait certainement plus lourde que toutes les autres à son cœur trempé de fierté : en 1306, la flambée des prix consécutive à une dévaluation de 65 % avait provoqué une émeute populaire, et le roi avait dû se réfugier d’urgence au Temple de Paris… Ce souvenir demeurait doublement humiliant pour Philippe le Bel qui avait, quelques temps auparavant, sollicité son entrée dans l’Ordre à titre honorifique, avec le dessein de le noyauter, et s’était heurté à un refus catégorique. Quant à l’émeute populaire, elle avait naturellement été favorisée en sous-main par les Templiers…

Mais ces mobiles d’exaspération de Philippe le Bel n’étaient pas les seuls. Comment, en effet, le roi de France aurait-il pu tolérer plus longtemps, au moment précis où il réduisait les pouvoirs monétaires de la noblesse et les pouvoirs judiciaires du clergé, un ordre chevaleresque et religieux exempt d’impôts et exerçant sa propre justice ? Au moment où il luttait contre l’Angleterre, le Temple, une association aux sympathies anglaises affichées et anciennes ? Au moment où il faisait un état en monarque absolu, le Temple, une organisation disposant dans le pays d’une milice armée de 30 000 hommes et dont les Grands Maîtres prétendaient, comme lui, n’exercer leur office que par  la  grâce   de  Dieu ?   Comment   l’orgueil   écorché  de Philippe le Bel pouvait-il encore ruer dans un tel contexte ridiculisant.

Il fallait donc que la pantomime insultant le roi de France cessât au plus vite. La stratégie de Philippe le Bel était de faire condamner les Templiers par le pape Clément V. Comme cela, si le Temple était reconnu hérétique, ses biens cesseraient d’être considérés comme religieux et ne reviendraient donc pas au pape mais au roi. Cela expliqua le contenu et la hâte des chefs d’accusation diffamatoires et grotesquement faux :

  1. – initiation secrète accompagnée d’insultes à la croix, de reniement au Christ, de baisers infâmes ;
  2. – omission des paroles de la consécration lors de la messe ;
  3. – adoration d’une idole considérée comme image du vrai Dieu, du seul auquel il fallait croire ;
  4. – autorisation, voire recommandation de pratiquer le « crime contre nature », c’est-à-dire l’homosexualité.

Cependant, le pape Clément V refusait toujours d’apporter foi aux accusations exorbitantes répandues par Philippe le Bel. Jusqu’à l’été 1308. Et là surgit la plus grande énigme du procès des Templiers. Que révélèrent à Clément V les soixante-douze Templiers qu’il interrogea lui-même à Poitiers ? Mystère : les minutes de ces interrogatoires sont aux archives secrètes du Vatican. Mais le fait est que, lorsqu’il eut entendu ces révélations, le pape changea brusquement d’attitude. Immédiatement il rendit aux inquisiteurs les pouvoir qu’il leur avait retirés, et décida de réunir d’urgence à Vienne un Concile pour juger les Templiers.

Et l’imposture se révèle criarde de duplicité : si l’Ordre du Temple  est  innocent  des crimes qu’on lui prête, pourquoi Clément, d’abord si bien disposé à son égard, a-t-il renoncé à le défendre ? S’il est coupable, pourquoi le dissout-il sans condamnation ? Et, qu’il soit innocent ou coupable, pourquoi le chef de l’Eglise esquive-t-il le débat promis ? Si Clément V s’emploie à empêcher ce débat de fond, ce ne peut être que pour éviter la révélation publique de certains secrets de l’Ordre du Temple qu’il apprit à Poitiers.

« Clément, et toi Philippe, traîtres à la foi donnée, je vous assigne tous deux au Tribunal de Dieu ! Pour toi, Clément, à quarante jours. Et pour toi, Philippe, dans l’année ! »

Dans un silence de mort qui approche, on ne perçoit plus que le crépitement des flammes. Nous sommes le lundi 18 mars 1314. Une fin d’après-midi avec un ciel gris charriant des nuages lourds de pluie qui se dirigent rapidement sur Paris. La foule, interdite, est massée pour voir ce qui se passe sur l’Ile aux Juifs où deux condamnés enchaînés à des poutres de chêne imbibées d’eau depuis des mois et des mois, ne disposent que d’un stère de bois chacun pour mourir, selon les ordres, « à petit feu » ; ne seront plus, dans la soirée, au chœur d’une fumée noire malodorante et de relents de chair et de graisse brûlée, que pauvres débris lentement carbonisés. L’un des suppliciés, commandeur de Normandie, se nomme Geoffroy de Charrnay. Quant à celui qui, tout à l’heure, clamait la malédiction d’une voix terrible glaçant la foule des âmes simples courbées sous la crainte de la crosse, du sceptre et du goupillon, il s’agit de Jacques de Molay, dernier des Grands Maîtres de l’Ordre du Temple.

Et la sentence prononcée contre Clément V et Philippe le Bel fut effective le 9 avril 1314 pour le pape qui mourut de dysenterie et de vomissements à Roquemaure dans la vallée du Rhône ; et pour le roi qui fut jeté à bas de son cheval à Fontainebleau le 29 novembre 1314.

La cause de l’extermination des Templiers, cause inavouée par les autorités religieuses de l’époque – et mis à part le dessein du roi de France de mettre la main sur la colossale fortune de ces derniers – fut exactement la même que celle, bien avant eux, des Cathares : la connaissance de certaines informations sur la vie réelle et l’authentique enseignement de Ieshoua’ (alias Jésus de Nazareth)…

Le 18 mars 1314, accoudé à sa fenêtre du Louvres, le roi de France Philippe IV le Bel contemplait les fumées du bûcher qui allaient dissimuler, pour longtemps, tant d’ombres et de mensonges occultant la vérité – les vérités – sur Jésus, le Christ. Mais, du 5 février 1967 au 26 février 1970, un homme, Grand Maître et Grand Maître d’honneur de plusieurs Obédiences maçonniques, françaises et étrangères, Robert Ambelain, allait, patiemment, avec une rigueur irréfutable de juge d’instruction, dévoiler certains des secrets recueillis par le pape Clément V de la bouche des Templiers. Certes, Ambelain s’est trompé en niant la nature divine de Ieshoua’, et lui donner pour père Judas de Gamala relève de la bouffonnerie. Cependant sa thèse demeure une mine d’informations magistrales à découvrir par qui veut approcher la vérité – les vérités – sur Jésus. (« Jésus ou le mortel Secret des Templiers » - Robert Laffont, 1974 ouvrage constamment réédité).

***

Mais qu’est-il advenu du Trésor des Templiers, évacué sur les ordres du Grand Maître Jacques de Molay, quelques jours avant la tentative de rafle des hommes de Philippe le Bel, le 13 octobre 1307 ? Mais quel doit-être l’importance de ce trésor confié à un aussi redoutable secret défiant les siècles ? Ce trésor inouï, si terriblement gardé jusqu’à présent comme par d’intraitables veilleurs des siècles, nous l’allons bientôt découvrir. Nous l’approchons. Volons, de cet an de mort 1314, au tout début de notre siècle.

En 1929, la municipalité de Gisors engage Roger Lhomoy, né le 17 avril 1904, comme gardien et jardinier du château dont la ville est propriétaire. Cet ancien séminariste, père de deux enfants vient d’apprendre depuis peu que sous le château médiéval qui couronne Gisors (Eure, à une quinzaine de kilomètres des Andelys sa ville natale) est enfoui un trésor fabuleux. C’est lui seul qui le découvrira. Il attendra donc patiemment l’âge de vingt-cinq ans pour obtenir la seule fonction lui permettant, sans être soupçonné, de commencer son invraisemblable quête. La légende ajoute que le souterrain placé sous le château de Gisors, bouché depuis longtemps, renferme un trésor protégé par des grilles de fer hermétiquement closes ; il n’y a qu’un moment dans l’année où l’on puisse songer à s’en emparer : c’est la veille de Noël, au cours de la Messe de Minuit, à l’instant précis où le prêtre lit la généalogie du Christ : c’est alors que les grilles s’ouvrent mais pour se refermer aussitôt après. Cela, c’est la légende. Reste maintenant l’investigation quotidienne. Lorsque nous écrivons « quotidienne », nous pourrions en fait préciser « nocturne ». Une  investigation  nocturne  qui  commencera au début de l’année 1944, en pleine guerre mondiale, une guerre mondiale faisant que l’accès du château est interdit au public, une guerre mondiale qui dissimulera fort opportunément la guerre d’un seul homme illuminé par une écrasante conviction, la bataille presque inhumaine d’un seul homme contre la terre. Nuit après nuit pendant trois ans, seulement armé d’une pelle, d’une pioche, d’une baladeuse électrique, d’un treuil plus que vétuste et d’un panier d’osier servant à évacuer la terre remuée, Roger Lhomoy se rendra au donjon et creusera clandestinement. C’est d’un puits situé dans le décor que Lhomoy pense que va sortir la vérité. Ce puits a été comblé jusqu’à la margelle. Il le débouchera. Il s’enfoncera à dix mètres, à vingt mètres puis à trente. Son trou atteindra la hauteur d’un immeuble de six étages lorsqu’un soir tout menacera de s’effondrer sur lui. Impossible de s’obstiner dans ce puits délabré. C’est quinze mètres plus loin qu’il recommencera à creuser. Il travaillera bien sûr toujours de nuit, puisque le jour il doit composer son personnage de gardien, de guide et de jardinier.

En juin 1944, il est à seize mètres sous terre et le vacarme du débarquement allié l’effleure à peine. Son travail deviendra vite infernal, creusant une sape horizontale, il devra souffrir dans un effrayant boyau de 50 centimètres de diamètre qu’il ne pourra ouvrir qu’à plat ventre, en raclant seau à seau la terre qu’il devra ensuite évacuer à reculons, ramener à la base du puits vertical, puis hisser 16 mètres plus haut avec un simple va-et-vient de corde. Chacun de ses gestes sera immensément lent, acrobatique et pénible, car l’air ne parvient qu’au compte-goutte et, au moindre faux mouvement, c’est l’électrocution – la gaine de  la  baladeuse,   rongée   par   l’humidité,  laisse  à nu  de larges segments du fil. Pourtant la sape atteint bientôt 9 mètres de long… Et la terre remuée, les 50 tonnes extraites jusqu’à présent ? Lhomoy s’emploie à l’éparpiller d’un bout à l’autre du terre-plein du donjon. Et l’administration dans tout cela ? Notre gardien y a pensé en sollicitant et en obtenant de faire des fouilles dans l’enceinte du château classé monument historique. Même chose avec la Mairie de Gisors, contre promesse de l’avertir si par hasard une découverte venait à couronner ses travaux. Lhomoy ne parlera bien entendu que de fouilles archéologiques, jamais il ne sera question de trésor…

Nous sommes maintenant en mars 1946. Lhomoy travaille à présent torse nu. Il sait qu’il achève de ruiner sa santé, mais le manque d’oxygène lui inflige une sensation d’étouffement intolérable. Il doit remonter à l’air libre plusieurs fois dans la même heure, soit qu’il se trouve au bord de la syncope, soit pour réparer sa baladeuse dont il ne peut se passer. Car pas question d’utiliser des bougies, à une telle profondeur elles ne s’allument plus…Le boyau dans lequel il évolue avec de plus en plus d’entraves est devenu si étroit qu’il a dû abandonner l’usage de la pelle et de la pioche. C’est à mains nues qu’il creuse maintenant, s’aidant d’une barre à mine pour extraire les fragments rocheux qui se multiplient au fur et à mesure de l’avancée dans le sous-sol. Lhomoy, arrivé aux dernières limites de l’épuisement est pourtant aiguillonné par une lancinante intuition qui lui crie que tout à l’heure, à quelques poignées de terre et de pierraille… Effectivement, la dernière galerie  atteignant  la cote moins 21 n’aura jamais plus de 4 mètres de long. Car un beau soir… Mais laissons parler Roger Lhomoy :

« Je ne pris pas tout de suite garde à ma barre à mine qui heurtait la pierre, car depuis deux heures je me débattait en pleins cailloutis. Mais voici que je discerne un vrai bloc de pierre, une pierre lisse et de taille, puis à côté une autre, et une autre… Le mur était très ancien, ces pierres n’étaient pas scellées les unes aux autres et c’est sans trop d’efforts que je puis en écarter une, puis deux. Je peux alors passer la tête et les épaules par cette ouverture, et ne prenant pas la peine de rebrousser chemin pour chercher ma baladeuse, je pousse un cri à tout hasard… L’écho qui me répond est si formidable que je sursaute. Le temps de ramper en arrière pour chercher ma baladeuse et me voici dans une salle, une très grande salle. L’incroyable réalité me fige longtemps devant ce que découvrent mes yeux enfiévrés. Je suis dans une chapelle romane en pierre de Louveciennes, longue de 30 mètres, large de 9 et haute de 4 m 50 à la clef de voûte. Tout de suite à ma gauche, aux environs du trou par lequel je me suis glissé, se trouve l’autel, en pierre lui aussi, ainsi que son tabernacle. A ma droite, tout le reste de l’édifice. Sur les murs et à mi-hauteur, soutenus par des corbeaux de pierre, voici les statues du Christ et des douze apôtres, grandeur nature. Le long des murs des sarcophages de pierre de 2 mètres de long et de 60 centimètres de large sont posés sur le sol. Il y en a 19. Mais dans la nef, ce qu’éclaire soudain ma baladeuse est encore plus phénoménale : 30 coffres en métal précieux sont rangés par colonnes de 10. Mais le mot coffre est toutefois très insuffisant. Il s’agit en fait d’armoires couchées, d’armoires dont chacune mesure 2 m 50 de long, 1 m 80 de haut et 1 m 60 de large… »

Lorsqu’il remonte des entrailles de sa fantastique nuit, les yeux éblouis pour longtemps par la découverte du fabuleux trésor qu’il traquait depuis de longues années d’un travail nocturne de forçat, Roger Lhomoy ne se doute pas des sanctions qui vont s’abattre sur lui. Car, désormais pour lui : malheur au vainqueur ! La première visite qu’il rend à la mairie de Gisors pour faire part de sa découverte lui vaut un semblant s’acquiescement. On lui rétorque : « vous ne plaisantez pas ? Alors allons au donjon ! ». Arrivés au pied de l’effrayant trou, les administratifs n’ont pas envie de se suicider. Car c’est dans une nacelle d’osier suspendue à une mauvaise corde elle-même tributaire d’un treuil incertain qu’il faut se risquer dans ce terrifiant puits duquel l’on n’est pas sûr de remonter. Deux volontaires se risquent toutefois dans la plus que téméraire expédition. Le premier est le propre frère de Lhomoy, Marcel, conseiller municipal d’une grande ville de la région parisienne. Il descendra jusqu’à la cote moins 13 mais devra remonter ; les risques d’éboulement sont trop élevés. Le second volontaire est plus à même de tenter l’aventure. Emile Beyne est un ancien officier du génie, commandant des sapeurs-pompiers de Gisors. Il ne parviendra qu’à 4 mètres de la chapelle souterraine, jettera des pierres en constatant qu’elles résonnent. Il remontera convaincu de l’existence de cette chapelle souterraine. Il sera le seul. Les peines iront très vite maintenant pour Roger Lhomoy. Les édiles de Gisors, qui ont changé, trancheront : « Qui vous a permis de creuser ? Vous n’aviez pas d’autorisation écrite de la ville. Vous vous êtes rendu coupable de dégradation de monuments historiques : c’est la révocation immédiate ! ». Et le même jour, une équipe  de  prisonniers  allemands,  sur ordre de la municipalité, rebouchera en quelques heures le trou des mille  et  une nuits. Il ne restera plus rien à Roger Lhomoy, pas même sa femme qui, lasse de cet époux fantôme, est partie, emmenant avec elle leurs deux enfants.

***

Quarante-cinq années après l’épilogue de cette incroyable affaire, le Premier ministre de France rassembla les pièces de la mystérieuse lettre reçue en cet éreintant mercredi 28 août 1991. Elle relut les preuves suivantes :

1° - il existe une construction souterraine sous le donjon du château de Gisors ;

2° - dans cette construction souterraine, se trouve une chapelle ;

3° - cette chapelle est bien telle que l’a décrite Roger Lhomoy, avec les statues et les coffres ;

4° -un document prouve l’existence des trente coffres au trésor ;

5° - il existe des souterrains reliant l’église au château.

Le Premier ministre se dirigea vers l’une des hautes fenêtres de son bureau, comme pour remonter à la lumière du quotidien. Un quotidien hélas chargé de nuages pressentis par son prédécesseur : « Avec le dossier du financement des retraies, il y a de quoi faire sauter les cinq prochains gouvernements ! ». Des ténèbres gardant le trésor du Temple, au ciel social plus que maussade de cet an  1991, il  ne  restait  que  fort  peu  de  meurtrières   pour entr’apercevoir une faible luciole d’espoir. Le Premier ministre   prit   machinalement   place  à  son  bureau.  Elle rédigea, à la main, une lettre, ou plutôt elle sembla calligraphier un billet laborieux. Elle relut une dernière fois les pièces de ce dossier remontant des terres du temps, les scella dans une forte enveloppe, le tout accompagné bien évidemment du livre pourpre et or que lui avait adressé le bienfaiteur anonyme de la France ; le livre de Gérard de Sède : « Les Templiers sont parmi nous ». Alors elle fit adresser cet étonnant message au 3 de la rue de Valois : au ministre de la Culture de contacter l’administration territoriale compétente pour que deux terrassiers assurent 48 heures de travail permettant d’atteindre la chapelle souterraine se trouvant à faible profondeur ! Cette chapelle renfermant 30 coffres en métal précieux rangés par colonnes de 10. Et le mot « coffre » est dérisoire : c’est plutôt d’armoires couchées dont il faut parler, d’armoires dont chacune mesure 2 m 50 de long, 1 m 80 de haut et 1 m 60 de large.

-Comment se fait-il que personne n’ait ordonné cette recherche somme toute de fort peu d’investissements ?

Tout en prononçant cette remarque à voix basse et monotone, la Dame de Matignon sortit et referma sans bruit la porte de son bureau, sur une journée torride bien ordinaire, et sur une France aux affaires maussades bien ordinaires.

 

Dole, Jura, Eté 1991.

 « Les Entrailles de Gisors ».

I Diffusion : - L’idée libre, Paris, 1992 ;

- Revue trimestrielle Florica, 1992 ;

- AVLP (Association Vaudoise de la Libre Pensée), Lausanne, Suisse, 2006 ;

- Distinction de la meilleure nouvelle 2006, IWA, Toledo, USA.

II Mobile initial de l’auteur : présentation originale et attrayante de « Les Templiers sont parmi nous » de Gérard de Sède, et de « Jésus ou le mortel Secret des Templiers de Robert Ambelain.

III – La Dame de Matignon. Il s’agit bien évidemment de Madame Edith Cresson, Premier Ministre de François Mitterrand du 15 mai 1991 au 12 avril 1992. Les mentions astrologiques figurant dans cette nouvelle sont authentiques. Madame Cresson reçut bien évidemment cette nouvelle et répondit à l’auteur à l’aide d’une carte de visite signée de sa main.

IV – Mobile de cette nouvelle édition légèrement revue et corrigée  :  inciter le lecteur  à approfondir la connaissance de Iéshoua’ (Jésus) par la lecture de six ouvrages pertinents (dont celui de Robert Ambelain présenté ci-dessus).

- « Les Grands Initiés », Edouard Schuré, Pocket n° 2182

- « Jésus parlait araméen », Eric Edelmann, les Editions du relié, Pocket, n° 11672 ;

- « La Vie des Maîtres », Blaird T. Spalding, J’ai lu/Aventure secrète n° 2437,

-« Le Christianisme ésotérique », Annie Besand, Adyar.

-« Le Livre secret des Esséniens », Olivier Manitara, Guy Trédanier.

Toutefois, l’auteur ne souscrit pas à l’hypothèse de Robert Ambelain niant la divinité de Iéshoua’. Il met l’accent sur les points archéologiques et historiques présentés dans les Evangiles, et qui sont en contradiction formelle avec l’Histoire et l’Archéologie. Nous ne pouvons qu’attendre, avec encore plus d’impatience existentielle pour l’âme, les véritables Evangiles d’avant leur manipulation  par les clercs soucieux de bâtir une « Eglise » pour dominer le monde, le gouverner, s’y enrichir ; à l’aide de mensonges et de menaces et sans négliger les menées dictatoriales et les génocides (croisades, Inquisition). Ce qui devait conduire cette Eglise catholique romaine au bord du dépôt de bilan que nous lui connaissons en ce début de XXIème siècle.